Publié le septembre 3, 2021
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La majeure partie de ce que je sais sur les soins de longue durée (SLD) provient de mon expérience personnelle, des récits de mes amis et des efforts du Saskatchewan Long Term Care Network. Bien que j’aie surtout travaillé dans le domaine du travail et de l’accouchement, j’ai travaillé dans un foyer de SLD au début des années 1990 et j’en garde un bon souvenir. À l’époque, pour savoir comment interagir avec les résidants, je me demandais : « et si c’était ma mère ou mon père? ». Cela m’éclairait et me rendait plus compréhensive. À l’époque, je n’y pensais pas trop, mais avec le temps, les besoins en SLD pour ma famille sont devenus imminents.

Ma mère m’avait dit : « Je veux vieillir avec grâce » alors qu’elle était septuagénaire. Quelle déclaration lourde de conséquences! Mes parents ont bel et bien vieilli gracieusement – ils ont d’abord vécu dans un condo avec soutien à la vie autonome avant de se voir obligés de revenir vivre en ville, plus près de chez moi. C’était l’idéal pour nous tous. Peu après avoir atteint l’âge de 90 ans, maman est tombée très malade et a passé environ six semaines à l’hôpital pour se remettre d’une sepsie et d’une pneumonie. Elle souffrait également d’une insuffisance cardiaque congestive et est passée en phase palliative à sa sortie de l’hôpital.

Prendre des décisions concernant les SLD n’est jamais facile – en fait, je pense pouvoir dire sans me tromper que c’est toujours complexe. Nous avons été très heureux d’installer maman dans la maison de soins attenante à l’appartement où vivaient mes parents. Mon père passait ses journées avec elle, et j’ai pu la visiter presque tous les jours. Maman a été en soins palliatifs pendant 11 mois. Pendant cette période, mon père a commencé à montrer de plus en plus de signes de démence. Maman a vu les changements qui apparaissaient chez mon père bien avant moi. Au cours des deux années suivantes, papa est devenu de plus en plus distrait, et disait souvent que sa tête était « toute mélangée ». Je passais le voir tous les jours, et nous étions d’avis qu’il pouvait continuer de vieillir à la maison, jusqu’à ce que je planifie des vacances avec ma petite famille, en février 2020.

Comme personne ne pourrait venir le voir pendant mon absence, nous avons décidé de placer papa dans un centre de répit dans la ville où vit ma sœur. Bien qu’il ait eu une certaine appréhension, il a été d’accord. Deux semaines plus tard, lorsque je suis revenue à la maison après mes vacances, il avait perdu tous ses souvenirs de son ancien logement. Le centre était devenu son chez-soi, et il est passé de client temporaire à résidant. Il était satisfait. L’endroit était charmant, mais c’était tout de même complexe pour moi puisque je devais maintenant faire deux heures et demie de route pour aller le voir – un grand changement par rapport aux cinq minutes d’auparavant.

Je parie que vous savez ce qui est arrivé ensuite : la Covid-19. Dans l’impossibilité d’entrer dans l’établissement, nous avons dû faire des visites « à la fenêtre ». Si vous n’avez pas eu ce plaisir, imaginez essayer d’avoir une conversation avec une personne confuse et malentendante par téléphone, à travers une fenêtre, dans le vent des prairies. Chaque conversation était – et est toujours – la même. Il dit toujours « J’ai une drôle de question à poser, mais où est maman? » Nous essayons de nous remémorer de beaux souvenirs et de ne pas nous attarder sur le présent parce qu’il est difficile pour lui de réaliser à quel point il oublie des choses. Chaque fois que je me tenais à sa fenêtre ce printemps-là, il disait « Je ne comprends pas, personne n’est malade ici! ». Il voulait nous faire entrer, mais c’était impossible. Même laisser un cadeau dans sa boîte de courrier était difficile; il y avait un délai d’attente, et on ne pouvait savoir s’il comprenait de qui venaient les cadeaux et pourquoi il en recevait.

Lorsque l’été est arrivé et que les visites à l’extérieur ont été autorisées, c’était comme Noël. Pourtant, il y avait toujours des défis à relever. Il ne comprenait pas pourquoi il fallait rester à 2 m les uns des autres, surtout étant donné son problème d’audition. Certains jours, il me faisait reculer jusque dans le fond de la cour à force d’essayer de se rapprocher de moi! Pendant un certain temps, nous avons pu nous rencontrer à l’intérieur, mais dans une pièce stérile avec seulement une table à cartes et deux chaises. Je comprends que cela facilitait le nettoyage, mais ça n’aidait en rien la conversation ou l’évocation de doux souvenirs. Les discussions étaient toujours les mêmes, et je devais toujours répondre aux questions qui le tracassaient toujours, comme « où est maman? ».

Au fil du temps, nous avons pu organiser des réunions sur Zoom avec l’aide du personnel. Cela a beaucoup amélioré les choses, et les questions ont un peu changé. Maintenant, il nous demande, à mes frères et sœurs et à moi, où nous sommes, et nous nous émerveillons tous de la merveille de la technologie. C’est un de mes moments préférés de la semaine. Parfois, nous avons même le plaisir de voir mon père jouer de la guitare et chanter pour nous, et pendant un instant, je reconnais le père qui me manque tant.

Les normes des autorités sanitaires en Saskatchewan stipulent que la présence de la famille est autorisée pour les résidants dont les besoins ne sont pas satisfaits ou dont l’état se détériore, mais les restrictions gouvernementales ne le permettent pas. Les résultats cognitifs de papa sont nettement en déclin, mais comme il est par ailleurs en bonne santé et autonome, nous devons rester de l’autre côté de la fenêtre ou à l’autre bout de l’appel Zoom.

La perte de ses capacités cognitives, de sa santé, de sa mobilité, de ses amis et de son autonomie est déjà assez difficile. Je crois sincèrement qu’il est injuste d’enlever en plus le soutien familial lorsqu’un proche est en mesure de l’offrir. Je pense qu’il nous faut complètement revoir notre façon de prodiguer les soins de longue durée. Nous devons considérer les SLD non pas comme un foyer, mais comme leur chez-soi. Il nous faut trouver un équilibre entre l’amour et la gestion des risques. Personnellement (et je réalise que j’ai la chance d’être à la retraite), je pourrais adopter un style de vie très prudent et me conformer à toutes les exigences en matière d’EPI du centre où est mon père pour pouvoir passer du temps avec lui. M’asseoir avec lui dans sa chambre, échanger des histoires, boire un café et lui faire des câlins, ce serait extraordinaire – je le ferais sans hésiter. J’espère qu’avec la vaccination en cours, cela pourra bientôt devenir réalité, mais cette année perdue ne doit jamais se répéter.

Alors, comment trouver du soutien dans de telles circonstances, en pleine pandémie? Dans mon cas, la clé a été de joindre un groupe de gens tout comme moi préoccupés par la situation. Le Saskatchewan Long Term Care Network a été une réelle bouée de sauvetage, regroupant des membres de familles, des cliniciens, des chercheurs et des stagiaires travaillant ensemble pour trouver des stratégies fondées sur l’expérience et des faits probants afin d’éclairer les intervenants en SLD. Nous croyons que favoriser de solides relations entre les résidants, les familles, le personnel et les décideurs doit faire partie intégrante de la réaction à la pandémie et de la démarche de rétablissement. Même si je ne connais la plupart de ces gens qu’à travers un écran d’ordinateur, elles sont devenues importantes dans ma vie, et je ressens de la solidarité et de l’espoir en sachant que d’autres personnes se préoccupent des mêmes enjeux que moi.

De façon générale, nous devons accepter de sortir de notre zone de confort et participer au changement. J’ai longtemps accepté de regarder les autres faire le travail et de simplement hocher ou secouer la tête devant leurs efforts, mais je pense que le moment est venu de contribuer à l’établissement d’un meilleur cadre pour les soins de longue durée de demain.

Marlene Moorman est une infirmière retraitée à Saskatoon, en Saskatchewan